Du rêve à la réalité . . .

Notre départ de Mangily se fait depuis chez Anita, après avoir à peine touché à notre gros poisson grillé.... Comme il est encore tôt ( 11h30 ), les pêcheurs du village ne sont pas encore rentrés, du coup, elle a fait venir une bonite d'un village voisin. Ce poisson de la famille des thonidés n'est pas spécialement reconnu pour sa chaire à la couleur grise. De plus, j'explique à JC qu'en Nouvelle Calédonie, on ne mangeait pas les bonites car elles sont porteuses de vers! Bon ben là, je lui coupe littéralement l'appétit! On fini d'engloutir nos légumes sautés, nos haricots de cap et notre salade de crudités et zoup on monte dans le taxi brousse qui nous attend! 

José, notre taximan est appelé dans le village voisin pour charger une cargaison de poissons et sept passagères! Cool, on ne devra pas attendre que le taxi brousse fasse 10 tours dans le village et se remplisse pour rejoindre Tuléar! Bon, on fait forcément des détours pour accéder à ce village enclavé qui se trouve entre mangrove et savane pour ne pas dire désert, où le seul moyen de locomotion est la charrette à zébus!

On continue donc sur la piste avec notre petite camionnette, qui nous rappelle celle de Pemba en Tanzanie. Heureusement nous avons les meilleures places à l'avant avec le chauffeur, puisque nous sommes les premiers arrivés à bord! On a le droit à du bon son malgache, volume 35, à fond la caisse, on se met à danser au rythme effréné de Wawa!! Ça fait bien rire José de voir deux Vahazas se déhancher à la malgache! Et pas que lui d'ailleurs, quand nous croisons les enfants des villages, ils sont nos premiers fans!! C'est l'explosion de fous rires et concours de grimaces qui s'en suit!

Les villages font par contre vraiment peine à voir, complètement ensablés, des petites maisons en bois toutes bancales et du vent qui vous embrume les yeux et vous fouette les mollets. 

On arrive aux sept passagères, qui sont en fait des cargaisons de bonites justement!! Des paniers et des paniers sont accrochés de partout, sur le toit, sur les grilles latérales de la camionnette! À l'arrêt, on empeste la poissecaille! 

Pendant le temps du chargement, un bébé est en train de mourir ou est déjà mort au dispensaire, nous signale José. Le dispensaire est juste là, au bord de la route à même pas 3 mètres de nous. On entend des femmes hurler depuis la camionnette, leurs pleurs arrivent même à couvrir la musique. Je voudrais y aller, mais pour quoi faire me dit JC, il a raison... Comment sauver un bébé en brousse sans aucun moyen, il n'y a même pas de quoi poser une perfusion de réhydratation ici!! Je me résigne à rester dans la voiture, dans quel état, vais je découvrir ce gosse, si je rentre dans cette pièce...? La mortalité infantile reste un défi en matière de santé à Madagascar, comme tant d'autres problèmes sanitaires! 

Le chargement dure longtemps, je décide quand même de sortir et de rejoindre JC au bord de la piste. Ce qui m'attend n'est pas triste non plus... Une raie manta gît sur le sol. 

Je pense au bébé mourant, à ses gens qui crèvent la dalle, aux ONG qui essayent d'éduquer les populations à la pêche, aux espèces protégées en sursis... Un sentiment de désarroi mêlé à la révolte, et une profonde tristesse m'envahie! Mais là, bouches bées, nous sommes impuissants face au scénario qui se trame devant nous; qui n'est autre que la réalité, le quotidien des malgaches. Cette raie manta a été fraîchement fléché au harpon ce matin à la sortie de la passe! Elle sera revendue, lisez bien, 30 000 Ariary à Tuléar, soit 10€!!! Pour les pêcheurs c'est une aubaine, quand on sait que la bonite est revendue 2000 Ariary pièce!

J'essaye tant bien que mal d'expliquer aux femmes de pêcheurs et aux hommes qui chargent la camionnette, avec des mots simples que les raies manta et les requins sont des espèces protégées, qu'il ne faut pas les pêcher pour la chaîne alimentaire, que l'écosystème dépend de la présence de chacun, que le jour où n'y en aura plus dans les mers et les océans c'est tout l'écosystème qui partira en live! Mais, je parle à peine perdue. Pour eux, la chaire de la raie est bonne, ça se mange et ça rapporte beaucoup d'argent, alors mon blabla bobo-écolo je peux me le garder... !! Comment pourraient-ils savoir que la mer est tout!! Qu'elle couvre 7/10e du globe terrestre, son souffle est pur et sain; c'est l'immense désert où l'homme n'est jamais seul!! 

Des ONG sont implantés partout, et dans tous les domaines, la protection des caméléons, des lémuriens, des requins; sur la route il y a des pancartes de WWF, UNICEF, on a même croisé le camion des enfants de "bel avenir", ils font pourtant un boulot titanesque, sans beaucoup répercussions positives!! Dès que les ONG sont absentes ou parties à cause des tensions politiques ou autres, chacun pêche de nouveau tout ce qui passe et surtout tout ce qui est revendable!

On espère que les générations à venir seront sensibilisées à temps, il y a tant d'espèces endémiques à Madagascar sous marine encore à découvrir, à identifier!!

En quelques minutes, nous passons littéralement d'un doux rêve à la triste réalité "malagasy" ...